Pépites de vie

– Vous croyez au paradis ? me demande Philippe installé au soleil sur la terrasse.

– C’est quoi le paradis pour vous ?

– Le paradis c’est quand on a plus aucune peur, plus de peur physique, plus de peur mentale, plus de peur affective, plus de peur spirituelle.

Ce qui me fait vibrer c’est la guitare. Vous savez que le rock vient du blues, et que le blues vient des noirs qui se répondent dans les champs de coton ?

Écoutez : toutou toutoutou…

Et l’autre répond : toutou toutoutou…

Et ça continue… chacun à tour de rôle ramasse et bat le coton en chantant.

Sur ce, Michel entonne le chant des esclaves , les mains posées sur la guitare imaginaire qu’il ne tient pas, avec une voix d’outre-tombe qui vient du plus profond de ses entrailles.

La semaine suivante, je reviens le voir et lui demande s’il ne voudrait pas proposer une animation à sa maison de retraite.

– Ici c’est voulez-vous danser grand mère, voulez-vous danser grand-père, alors moi avec mon blues, mon rock et mon hard rock, je ne ferai pas l’affaire. Mais je me suis remis à la guitare cette semaine. Je ne l’avais pas touchée depuis 13 ans.

– Formidable ! Qu’elle a été votre déclencheur pour vous y remettre ?

– J’ai besoin de me ré entraîner, je n’en ai pas fait depuis si longtemps !

Ce qu’il y a de plus beau dans la vie ce sont les couleurs des fleurs qui sortent de la terre. La terre est noire, la terre est froide, et soudain des couleurs en sortent. C’est miraculeux. Je retiens une chose de la vie, c’est ma grand-mère qui me l’a apprise : Jacqueline, ne sois  jamais rancunière, ne ressasse pas les choses contre la vie et contre les gens.

– Dire que je suis à côté de mon lit, à seulement deux pas de mon lit, et que je ne peux pas me coucher, se désole Marcelle. C’est terrible d’être si près et si incapable de faire ce dont on a besoin.

– Tu dois être patiente, tu sais bien que tu dois te retaper ici maman.

– Non ce n’est pas ça.

– Ce que veut dire votre maman c’est très beau, profond et même philosophique. Son image me parle : être près de son lit et ne pas se sentir libre de ses mouvements.

– Oui c’est ça, ici je suis enfermée.

– Vous vous sentez enfermée ?

– Oui.

– Votre lit me fait penser à la terre promise. Le peuple d’Israël a mis 40 ans pour y parvenir, et pourtant cette terre n’était qu’à quelque semaines de marche seulement. 40 ans c’est long quand on est tout près.

– Moi quand je demande aux infirmières de me coucher, il me faut attendre 8 jours pour qu’elles viennent !

– 8 jours ! C’est long 8 jours, ça veut dire que la semaine prochaine quand je reviendrai je serai certaine de vous retrouver ici dans votre fauteuil, habillée avec votre même robe ?

Dans le désert, Dieu a donné à son peuple la manne dont il avait besoin pour chaque jour. Même quand le peuple récriminait en disant qu’il aurait mieux fait de rester esclave en Égypte.

Et Nelson Mandela, qui est resté enfermé 27 ans en prison, est aussi resté capitaine de son âme. Votre liberté, elle pourrait être dans votre âme ?

– Je ne sais pas, on ne m’a jamais appris ça. Je suis vieille, ma vie est derrière moi, et ce dont j’ai le plus envie aujourd’hui, ici dans ma chambre, c’est de vivre. Simplement pouvoir vivre.

– Si vous me parlez, c’est que vous êtes bien vivante ?

– Peut-être, oui peut-être.

Alors comme ça vous allez de maison en maison, me dit Paulette en me voyant entrer dans sa chambre.

 

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